L’école à domicile,  un engouement pour un meilleur enseignement? C’est la question à laquelle Renaud Keymeulen a tenté de répondre dans cet article publié chez Etopia.
Au programme:

  • En quoi l’IEF pose question ?
  • Qu’en est-il dans d’autres contrées ?
  • Quelles sont les raisons qui poussent les familles à choisir l’IEF ?
  • Que démontrent les recherches sur l’efficacité de l’IEF ?
  • Quelle méthode d’enseignement ?

En Belgique et en France, il n’y a pas d’obligation scolaire mais bien une obligation d’instruction. Le droit à l’instruction est un droit fondamental inscrit dans la Déclaration des droits de l’enfant à l’article 29 [1] et dans notre Constitution à l’article 24 [2], qui soumet le mineur à l’obligation scolaire pendant une période de douze années [3]. Cependant, l’obligation scolaire peut se réaliser en dehors des murs d’une école. Cette nuance laisse donc la possibilité aux parents d’organiser l’éducation de leur enfant à domicile ou via une structure privée (par exemple, via les écoles de jury).
Notre étude portera uniquement sur l’enseignement à domicile, aussi appelé homeschooling ou Instruction en famille (ci-après IEF) qui permet de satisfaire à l’obligation scolaire.
En Fédération Wallonie Bruxelles, pour pouvoir fournir un enseignement à domicile à leur enfant, les parents doivent répondre à plusieurs obligations.

  • Informer l’administration du souhait en remplissant le formulaire prévu à cet effet, chaque année et ce avant le 1er octobre
  • Accepter les contrôles des inspecteurs
  • Inscrire l’enfant aux différentes épreuves certificatives : le CEB à 12 ans, CE1D à 14 ans, CE2D à 16 ans et à 18 ans un jury central qui permettra à l’enfant d’obtenir son CESS. Seul l’obtention d’un des épreuves certificatives permet le retour vers un établissement scolaire.

Le décret 2008 [4] fixe les conditions pour qu’un enfant satisfasse à l’obligation scolaire en dehors d’une fréquentation régulière d’un établissement scolaire. Il précise que le service d’inspection contrôlera le niveau d’étude des enfants en correspondance au prescrit du décret « Missions » qui fixe les compétences à acquérir. La plupart du temps, les contrôles se composent d’examens écrits et de l’analyse du matériel pédagogique. Après deux inspections négatives, les parents sont dans l’obligation d’inscrire leur enfant au sein d’un établissement scolaire.
Il existe des possibilités de dérogations aux contrôles de niveaux des études et épreuves certificatives en cas de trouble de la santé, trouble de l’apprentissage trouble du comportement ou quand le mineur est atteint d’un trouble moteur, sensoriel ou mental. Si les parents le souhaitent, ils doivent en faire la demande au service de l’enseignement à domicile.

En quoi l’IEF pose question ?

Depuis quelques années, nous constatons une augmentation de la proportion d’enfants qui suivent un enseignement à domicile.

À la maison         

Nombre de réinscription par rapport à l’année précédence

2008-2009 502 /
2009 -2010 527 /
2010-2011 590 /
2011-2012 661 /
2012-2013 714 /
2013-2014 885 468
2014-2015 892 446
2015-2016 909 434
2016-2017 909 423
2017-2018 1044 469

Source : Fédération Wallonie Bruxelles, Dossier de presse de la rentrée 2018-2019, http://www.enseignement.be/index.php?page=27513, page 23.
Plusieurs hypothèses peuvent être posées pour expliquer cette augmentation, comme l’amélioration du contrôle du respect de l’obligation scolaire ou le constat du manque de places dans les écoles qui entraîne la désignation d’un établissement scolaire non souhaité par une famille.
Une mesure pour endiguer cette augmentation a dès lors été prise. Depuis 2018, les parents sont invités à expliquer la raison de leur choix et à préciser leur choix de leur enseignement à domicile. Cependant, cette mesure n’étant ni obligatoire ni contraignante, son effet sera sans doute minime.
L’analyse de ces données nous permet de constater d’une part une augmentation du nombre d’enfants faisant l’IEF en 2017-2018 et d’autre part que ce choix d’enseignement n’excède pas une année scolaire pour près de 50% des enfants. Parmi eux, on retrouve autant de filles que de garçons. Parmi eux, on retrouve 55% d’enfants en âge d’enseignement primaire et 45% en âge d’enseignement primaire.
Certains parents inscrivent leur enfant au sein d’une structure non reconnue, dite privée. Ce nombre varie entre 404 pour l’année 2014-2015 et 401 pour l’année 2017-2018.

Qu’en est-il dans d’autres contrées ?

Cette tendance que nous constatons en Fédération Wallonie Bruxelles n’est pas unique. En effet, en France [5], les derniers chiffres indiquent qu’environ 25 000 enfants, soit 0,3% des enfants âgés de 6 à 16 ans, suivraient une instruction à la maison. Cette augmentation pourrait trouver son origine dans le niveau de qualification de la population française, plus elevé aujourd’hui qu’hier. Ils auraient donc davantage confiance en leur capacité à fournir un accompagnement de qualité à leur enfant, avec une facilité d’accès à l’information renforcée par les médias et internet.
Au Québec, on estime qu’entre 2 000 et 8 000 enfants suivent l’enseignement à domicile. L’imprécision du chiffre serait liée au fait que 40 % des parents ne déclareraient pas la situation auprès des autorités scolaires et ce, malgré son caractère obligatoire.
Aux États-Unis, plus de 850 000 enfants suivent ce type d’enseignement (soit 3% de la population en âge de suivre une scolarité), un chiffre qui augmente de 7 à 15% en fonction des années.

Quelles sont les raisons qui poussent les familles à choisir l’IEF ?

Pour Benoit Galand, professeur à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation à l’UCL, l’augmentation toute relative du nombre d’enfants suivant l’instruction en famille pourrait être liée à une méfiance vis-à-vis des institutions publiques dont l’école, ou trouver son origine dans des motifs plus personnels, religieux ou économiques.
En France, [6] les parents qui testeraient l’instruction à domicile chercheraient majoritairement à répondre aux besoins éducatifs particuliers de leurs enfants, à leur proposer un enseignement prenant en compte leur rythme, leurs intérêts ou leur niveau d’autonomie.
Au Québec [7], Christine Brabant de l’Université de Montréal a identifié plusieurs raisons qui amènent les parents à choisir ce type d’enseignement :

  • Un désir de se doter d’un projet éducatif familial
  • Un regard sur le développement social et affectif de l’enfant
  • Un désir de transmettre des valeurs différentes de celles diffusées au sein des établissements scolaires
  • Une expérience négative vécue par les parents lors de leur propre scolarité

Aux États-Unis [8], une étude expliquerait le choix des parents par l’impression que l’EAD est supérieure au modèle traditionnel d’enseignement, par la mauvaise qualité de l’environnement scolaire, par des objections liées aux programmes scolaires ou encore par la volonté de réaliser un projet personnel (voyage, par exemple).
Dans son ouvrage, Lise ISA (2016 : 16), s’appuie sur son expérience pour lister les motivations des parents. En dehors de celles énoncées précédemment, citons :

  • Transmettre des valeurs
  • Avoir du temps pour lire, chanter, dessiner, jouer de la musique, coudre, bricoler
  • Encourager la créativité
  • Liberté de vivre ses passions
  • Apprendre dans une ambiance détendue
  • Ne pas subir la pression d’évaluations a fortiori notées
  • Etc.

Que démontrent les recherches sur l’efficacité de l’IEF ?

Les recherches sur l’école à domicile sont peu nombreuses et sont essentiellement issues du continent nord-américain.
Selon Benoit Galand [9], les recherches montrent que l’instruction à domicile n’est pas pire ou meilleure que le modèle traditionnel d’apprentissage, que l’enseignement par correspondance ou que le jury central.
Au Québec, les recherches [10] montreraient des résultats supérieurs à ceux obtenus par les enfants fréquentant une école au niveau de :

  • Habiletés sociales
  • Maturité sociale
  • Confiance en soi
  • Habiletés de communication
  • Interaction en groupe
  • Leadership
  • Résultats scolaires en mathématiques et en lecture.

Cela peut entre autres s’expliquer par deux facteurs : les parents qui choisissent l’EAD ont majoritairement une formation postsecondaire, et les enfants ont une formation individuelle, à 30 élèves.
En 2014, aux États-Unis [11], les résultats au SAT (Scholastic Aptitude Test ) de 13 549 étudiants ayant suivi un enseignement à domicile ont été comparés à la moyenne nationale. Ils étaient supérieurs à ceux des étudiants ayant évolués au sein d’établissements scolaires.

Quelle méthode d’enseignement ?

Enseigner à son enfant demande d’une part du temps pour préparer les activités d’apprentissage et accompagner ce dernier et d’autre part des compétences spécifiques de l’adulte. Idéalement, l’instruction en famille repose donc sur un parent qui ne travaille pas ou qui a un horaire flexible, qui a un niveau d’instruction postsecondaire et qui a un conjoint au revenu suffisant pour subvenir aux besoins de la famille.
En Fédération Wallonie Bruxelles [12], l’enseignement à domicile concernerait principalement les enfants :

  • Pratiquant le sport de haut niveau
  • Ayant des soucis de santé
  • Dont les parents souhaitent une pédagogie différente pour leur enfant.

L’IEF est vu par ces derniers comme un enseignement qui peut laisser l’enfant en totale liberté, le plonge dans un cadre souple qui se compose de nombreux jeux et des sorties dans des musées, une bibliothèque, une ludothèque, un magasin [13], etc.D’autres parents intègreront certaines caractéristiques du système scolaire à leur mode d’enseignement : utilisation de manuels scolaires, horaires fixes, etc.

Conclusion

L’instruction à domicile est-elle plus efficace ? À ce jour, il est difficile de répondre à cette question. En effet, les recherches à ce sujet sont restreintes et il est complexe de comparer un enseignement individuel et un enseignement en groupe-classe, qui se compose sans doute d’élèves se différenciant socialement et culturellement.
En Fédération Wallonie Bruxelles, une étude plus approfondie pourrait être menée, étant donnée la taille raisonnable de notre population pratiquant l’instruction à domicile. Une recherche qui pourrait à terme aider à comprendre le phénomène, améliorer l’encadrement de ses familles ou adapter un enseignement traditionnel qui a besoin d’évoluer pour répondre aux nouveaux enjeux scolaires et à l’évolution des besoins de tous.
Bibliographie
ALLAIRE S. ,L’école à la maison : ce qu’en dit la recherche, 27 octobre 2017, Le Quotidien, https://www.lequotidien.com/opinions/tribune/lecole-a-la-maison-ce-quen-dit-la-recherche-d861cf294f847816a727ad7333ae5d0f, consulté le 8 décembre 2018.
Brabant C., Bourdon S., Jutras F., « L’école à la maison au Québec : l’expression d’un choix familial marginal », Erudit, Enfance, Familles, Générations, n°1, automne 2004, p. 1-17 [en ligne : http://www.erudit.org/revue/efg/2004/v/n1/008894ar.html].
Brabant, C. L’école à la maison au Québec : un projet familial, social et démocratique, Presses de l’Université du Québec, Québec, 2013.
Constitution Belge, « La Constitution coordonnée », 17/02/1994 [en ligne : http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/18064_000.pdf]
Convention internationale relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989 [en ligne : http://www.dgde.cfwb.be/index.php?id=3570].
DEMOUSTIER R., L’école à la maison hausse de 50% en seulement 5 ans, La Libre, http://www.lalibre.be/actu/belgique/l-ecole-a-la-maison-hausse-de-50-en-seulement-5-ans-567799f53570ed3894b0a9b0, consulté le 8 décembre 2018.
FIEVEZ P., Qui a dit que l’école était obligatoire, https://www.lecho.be/dossier/enseignement/qui-a-dit-que-l-ecole-etait-obligatoire/9802323.html, 27 août 2016, L’Echo, consulté le 8 décembre 2018.
GERARD Brigitte, L’école à la maison, une nouvelle mode, Entrées libres, n°106, février 2016, page 11.
GESRET G., L’école à la maison : une tendance dans notre société, Université de Cergy-Pontoise, 3 février 2017, https://www.u-cergy.fr/fr/recherche-et-valorisation/actualites-recherche/seminaire-homeschooling.html, consulté le 8 décembre 2018.
LISE E., L’école à la maison : apprendre autrement, Éditions l’Instant Présent, France, 2016.
Lise I., Faire l’école à la maison, Eyrolles, Paris, 2017
Ministère de la Fédération Wallonie Bruxelles, Dossier de presse de la rentrée 2018-2019, http://www.enseignement.be/index.php?page=27513, consulté le 8 décembre 2018.
Ministère de la Fédération Wallonie Bruxelles, « Décret fixant les conditions pour pouvoir satisfaire à l’obligation scolaire en dehors de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française », 25 avril 2008 [en ligne : http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/33036_001.pdf].
Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles, « Loi concernant l’obligation scolaire », 29 juin 1983 [en ligne : http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/09547_001.pdf].
VAN HONSTE C., l’école à la maison : pas à la porte de tous !, Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel, Bruxelles. http://www.fapeo.be/wp-content/uploads/2014/06/4-15-2014-Linstruction-en-famille.pdf

[1Convention internationale relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989.
[2Constitution Belge, « La Constitution coordonnée », 17/02/1994
[3Enseignement.be, « L’obligation scolaire, http://www.enseignement.be/index.php?page=24546&navi=12&rank_page=24546, consulté le 8 décembre 2018
[4Ministère de la Fédération Wallonie Bruxelles, « Décret fixant les conditions pour pouvoir satisfaire à l’obligation scolaire en dehors de l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française », 25 avril 2008, article 3.
[5GESRET G., L’école à la maison : une tendance dans notre société, Université de Cergy-Pontoise, 3 février 2017, https://www.u-cergy.fr/fr/recherche-et-valorisation/actualites-recherche/seminaire-homeschooling.html, consulté le 8 décembre 2018.
[6GESRET G., L’école à la maison : une tendance dans notre société, Université de Cergy-Pontoise, 3 février 2017, https://www.u-cergy.fr/fr/recherche-et-valorisation/actualites-recherche/seminaire-homeschooling.html, consulté le 8 décembre 2018.
[7Brabant C., BOURDON S., JUTRAS F., « l’Ecole à la maison au Québec : l’expression d’un choix familial marginal », Érudit, Enfance, Familles, Générations, n°1, automne 2004, p. 1-17.
[8FIEVEZ P., Qui a dit que l’école était obligatoire, https://www.lecho.be/dossier/enseignement/qui-a-dit-que-l-ecole-etait-obligatoire/9802323.html, 27 août 2016, L’Echo, consulté le 8 décembre 2018.
[9GERARD Brigitte, L’école à la maison, une nouvelle mode, Entrées libres, n°106, février 2016, page 11.
[10ALLAIRE S. , L’école à la maison : ce qu’en dit la recherche, 27 octobre 2017, Le Quotidien, https://www.lequotidien.com/opinions/tribune/lecole-a-la-maison-ce-quen-dit-la-recherche-d861cf294f847816a727ad7333ae5d0f, consulté le 8 décembre 2018.
[11Lise I., Faire l’école à la maison, Eyrolles, Paris, 2017, page 60.
[12DEMOUSTIER R., L’école à la maison hausse de 50% en seulement 5 ans, La Libre, http://www.lalibre.be/actu/belgique/l-ecole-a-la-maison-hausse-de-50-en-seulement-5-ans-567799f53570ed3894b0a9b0, consulté le 8 décembre 2018.

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